Dalloway

Les amis, il vient de m'arriver une chose terrible!
Mais que je commence par vous énoncer une série de faits objectifs.

Là, je viens de terminer Mrs Dalloway, et j'ai trouvé que c'était un chef d'oeuvre.
J'ai été plongé dans une ambiance vraiment particulière. Une sorte d'urgence immobile, comme un instantané pris juste avant la fin du monde.
On dirait que tous ces personnages ne savent pas qu'ils sont en train de vivre leurs derniers instants. Mais les événements insignifiants auxquels nous assistons prennent du coup une importance infinie.
Seulement, la catastrophe ne se produit pas. Il ne reste que le malaise causé par une appréhension injustifiée.
Il y a du Shakespeare dans le 'flow' de Virginia Woolf, sauf que Shakespeare écrit des tragédies, alors que Woolf écrit 'entre' les tragédies (ça ne veut rien dire, hein?). Et quand un drame se produit, il est simplement emporté dans le tourbillon désabusé des événements mineurs qui trament nos vies. Mais alors de quoi nos vies sont-elles réellement faites, et quelle en est la valeur? Voilà les questions que suscitent chez moi cette lecture.

Mais alors, rien de très inquiétant, me direz-vous?
Sauf que ce n'est pas tout. Il y a d'autres faits.
- Ma précédente lecture, "Jane Eyre", m'a passionné.
- Avant ça, j'avais été profondément ému par "Breakfast at Tiffany's".
- J'ai donné 5 étoiles à "La cloche de détresse", et seulement 4 au "Seigneur des Anneaux".
- Je préfère un livre de l'obscur poète William Cliff à "Fight club" de Palahniuk (Tiens, en voilà un nom idiot).
- J'ai maintenant envie de lire le livre d'Emily Brontë.
- J'ai pleuré en lisant "Le saule" de Selby.
- Je préfère lire que regarder le foot à la télé.

Je pense donc que les faits sont là, et qu'une conclusion s'impose, et que ce n'est pas le fait que j'aie des poils sur les seins et que j'aime la bière qui pourra mettre à mal cette implacable démonstration : il semblerait que peut-être... je sois en réalité... une femme!

Vous imaginez le choc que m'a causé cette découverte?
Bon, après réflexion, c'est un grand changement pour moi, c'est sûr, mais j'ai une grande faculté d'adaptation. Et puis j'ai toujours été en faveur de l'égalité des sexes (une sorte de prémonition?).

J'étais donc en train de m'habituer tranquillement à mon nouvel état, quand une autre réalisation m'a frappée de plein fouet.
En effet, si je considère que:
- J'ai envie de serrer Sylvia Plath dans mes bras.
- J'ai des projets de meurtre par empoisonnement sur le mari et l'amant d'Emma Bovary.
- J'ai envie de lécher Holly Golightly partout.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, je crois bien que je suis lesbienne.

Bon, je suis pour le respect des préférences sexuelles, mais rendez-vous compte: moi qui, jusqu'il y a peu, était convaincu(e) d'être un mâle hétérosexuel, voilà qu'il me faut maintenant m'assumer en tant que femme homosexuelle. C'est trop pour un seul homme! Enfin pour une seule femme! Enfin vous me comprenez!

En plus, ce changement n'a pas eu de conséquences que sur mon équilibre mental.

En effet, en apprenant cette nouvelle, ma maîtresse m'a quitté.
Elle dit que l'idée de coucher avec une femme la dégoûte.
C'est vrai que, maintenant que j'y pense, je l'ai toujours trouvée un peu étroite d'esprit.

Ma femme, elle, dit qu'elle ne voit pas la différence. Mais c'est vrai qu'il pourrait me pousser un troisième bras et une seconde tête pendant la nuit qu'elle ne remarquerait probablement pas la différence non plus.

Vous pensez bien que tout ça génère chez moi un certain nombre de questions existentielles:
- Est-ce que le prénom Zaphod convient pour une femme, ou est-ce que je devrais en changer?
- Est-ce que je dois demander à mes filles de m'appeler "maman" au lieu de "papa"?
- Est-ce que je dois acheter cette charmante petite jupe que j'ai vue chez Desigual, mais que je trouve un peu chère?

Ma soeur dit que peut-être je ne devrais pas conclure trop vite et qu'il subsiste un doute, que je devrais passer des tests. Elle dit qu'une vraie femme aurait probablement hésité longtemps pour la jupe, mais qu'elle ne serait certainement pas sortie du magasin sans l'avoir achetée.
Elle a raison. Elle est toujours de bon conseil, ma soeur.

Voilà ce que je vais faire: je vais maintenant lire un livre de science fiction avec des vaisseaux spatiaux, des canons laser, des robots, des aliens dégoûtants et belliqueux, et si j'aime bien, c'est que peut-être je suis quand-même un homme après tout.
Mais vous savez, je me demande si c'est bon pour moi de lire Virginia Woolf.